La tourbe à LONG
Histoire de l'extraction de la tourbe à LONG (Somme) Picardie:
par Lionel BACQUET
Ecrire l'histoire de l'extraction de la tourbe à LONG, ed chés troubes en picard, est une évidence tant elle est importante dans notre village. Pour comprendre l'histoire de la Commune de LONG, il faut en effet découvrir le travail du tourbier. Ce labeur pénible a permis à LONG de devenir l'un des villages les plus riches de France au milieu du 19 ème siècle. Ce village a donc tiré sa richesse de cette terre noirâtre à l'odeur si caractéristique.
Tableau de Bourgeois nommé "dur labeur"
Mais avant de commencer voici un joli poème de Léon DEVAUCHEL qui donne une idée assez précise de ce que représentaient la tourbe et son extraction dans notre vallée.
LE FEU DE TOURBE
Une odeur me prend à la gorge
Forte, âcre, effluve violent,
A croire qu'un soufflet de forge
en pousse vers moi le relent.
Senteur de toute une contrée,
sueur même de ce terroir
C'est la tourbe, au printemps tirée
tirée de l'entaille, immense miroir.
Dans ce brasier que je regarde
monte le songe pas à pas,
fait d'un peu de terre picarde
que je rapporte de là-bas
M.BILHAUT René
HISTOIRE DE LA TOURBE "ed ches troub":
Monsieur Pierre DUBOIS a écrit lors des conférences scientifiques municipales le 12 mars 1926 que l'emploi de la tourbe comme combustible est fort ancien. Pline et Tacite indiquent dans certains de leurs écrits que certains groupes de Germains utilident la tourbe pour se chauffer. Dès les premiers peuplements de la Hollande, les habitants se servent de la tourbe.
La tourbe est extraite dans la vallée de la Somme depuis le moyen-âge. En 1313, Isabelle, reine d'Angleterre, comtesse du Ponthieu, accorde au mayeur d'Abbeville le droit de tourber pendant 7 années les marais de la banlieue. Nous pouvons découvrir dans certaines chartes accordées aux villes et villages (Au XIIIème siècle à Fontaine-sur-Somme ou au XIVème siècle à Abbeville) règlementent et organisent de véritables tourbages communaux en Picardie. Les encyclopédistes et les géographes font mention de la tourbe et de son usage dans les régions du Nord de la France (Barthélémi l'Anglais, De proprietatibus rerum au XIVème siècle; Guichardin, Description de tous les Pays-Bas au XVIème siècle).
Mais les forêts picardes sont encore très vastes et bien sûr le principal combustible reste le bois.
Au XVIème siècle les exploitations s'intensifient... le défrichement de notre vallée s'accélère. Grâce à l’initiative des Flamands et des Hollandais la fabrication de briquettes de tourbe au moule devient courante. Un Flamand, Hubert du Bus (aussi nommé Dubuz) obtient en 1547 la concession du marais de Huy (Faubourg de Hem), à la Neuville et Cagny (Archives départementales, E.E 259...).
Au XVIIèm siècle l’extraction de la tourbe s’intensifie encore plus dans toute la région. Il est même publié des ouvrages spécifiques sur la tourbe. Notamment un livre de Lamberville en 1631 et un autre « le traité des tourbes combustibles » de Charles Patin en 1663. Ce professeur à la Faculté de médecine de Paris nous apprend qu'un sieur de Chambré, trésorier des gens d'armes du Roi, avait obtenu en 1658 le monopole du tourbage dans un rayon de vingt cinq lieues autour de Paris.. L'exploitation était devenue si active dans notre région que les paysages et les terrains étaient gravement détériorés. Les Trésoriers de France signalent ces abus au Gouvernement en 1693.
Au XVIIIème siècle, la plupart des habitants d’Amiens se chauffe avec de la tourbe. Jean Pagès, chroniqueur dans les années 1700-1715, indique que les petits ateliers industriels, qui vont des teintureries aux brasseries, alimentent leurs chaudières avec de la tourbe.
L’académie d’Amiens, en 1754, choisit même de mettre au concours ce sujet : « quelle est la nature de la tourbe en Picardie ; si cette tourbe croît et décroît, quelle est enfin la manière la plus avantageuse et la moins dispendieuse de la tirer ? »
Dans le même temps deux ouvrages, de Bellery et de Bizet, sont couronnés et imprimés à Amiens en 1755 et 1758.
Les archives conservent les preuves de l'importance de l'industrie tourbière sous la forme de règlements des tourbages communaux et des particuliers par le pouvoir central et les Intendants, en 1736, 1753 ... , des règlements par les municipalités d'Amiens ou d'Abbeville du commerce de la tourbe, mais également de la cendre de tourbe alors très employée comme amendement, des statuts des corporations de "porteurs de tourbe" et des dossiers des très nombreux procès à propos des tourbages.
Sous la Révolution, l’Empire et la Restauration le nombre de mètres cubes tirés va croissant dans toute la Picardie. La tourbe extraite est également de meilleure qualité et a donc un pouvoir calorifique plus important. On commence néanmoins à entendre parler du charbon mais il reste encore trop cher pour beaucoup. Il faudra attendre les années 1850 et l’arrivée du chemin de fer pour que le charbon remplace petit à petit la tourbe en Picardie.
Mais c'est quand même entre 1850 et 1890 que l'exploitation de la tourbe a été la plus intense à LONG, occupant une grande partie de la population du village. C'est pendant cette période que la Commune construira la majorité de ses grands bâtiments ( la reconstruction de l'église 1851 et la mise en place d'un orgue Cavaillé Coll en 1876, l'hôtel de ville en 1869, l'école des garçons et l'école des filles en 1870, son écluse etc...).
Quelques chiffres de 1889 montre la place de l'extraction de la tourbe dans notre département de la Somme. C'était le plus riche en tourbières (3000 ha sur les 38000 ha de la France). On dénombrait 157 tourbières qui occupaient près de 2000 ouvriers. La production avait été cette année là de 70 000 tonnes ce qui représentait une valeur financière de 680 000 francs. En 1919, il ne restait plus que 12 exploitations recensées, employant 30 ouvriers, et extrayant 33 000 tonnes estimées à 66 000 francs. (article de Pierre Dubois sur le dernier tourbier de LONG, Julien FACQUET).
En 1880 il a été tiré 83920 tonnes de tourbe dans la Somme et plus que 42500 tonnes en 1901 (courrier Picard du 22 août 1985)
Dans un texte de Pierre DUBOIS paru dans "Notre Picardie" en juin 1908, nous apprenons que rien n'a changé: sur les 38 000 hectates de tourbières situés en France, 3000 sont dans le département de la Somme dans plusieurs vallées telles que celles de l'Ingon, l'Airaines, la Trie, Le Dieu, l'Amboise, la Maye et les vallées de la Somme, de l'Authie ainsi que les différents affluents que sont l'Avre, Noye ou Ancre.
Tableau d'extraction de la tourbe en Somme
(source les industries d'extraction ... communauté de communes d'Hallencourt)
Au début du 20 ème siècle pourtant l'extraction de la tourbe se réduit de façon notoire. L'explication en est simple: la concurrence croissante du charbon.
La guerre 1914-1918 va redonner à la tourbe un nouvel essor. Mais dès la fin de la première guerre mondiale, seuls quelques habitants extrairont encore de la tourbe.
le travail très dur du tourbier...
PROPRIETE ET FORMATION DE LA TOURBE A TRAVERS LES ÂGES:
La tourbe a commencé à se déposer en Picardie en même temps que les autres matériaux de remplissage des vallées (glaises -tufs- calcaires, sables fluviatiles, sables marins dans la basse vallée de la Somme) à la fin de la période pleïstocène, la première de l'ère quaternaire et par conséquent au début de la période "iolocène".
Cette phase correspond:
à la substitution du paléolithique (pierre taillée) par le néolithique (pierre polie). On peut donc constater:
Au début du quaternaire, la rivière « Somme » est formée de la basse vallée actuelle (en aval d’Amiens) de l’Avre et de l’Oise supérieure ; elle a sa source dans l’Ardenne, son embouchure dans le fleuve de la Manche, au milieu de l’actuelle mer de la Manche qui n’existait pas encore. Drainant les eaux d'une région très vaste, arrosée par de grandes pluies fréquentes, la Somme a la puissance de creuser à travers les plateaux que recouvrent alors des dépôts tertiaires une vallée large et creuse. Elle s’étale sur 6 km de largeur en période de crue (aujourd'hui elle a une largeur de 35 m en moyenne). Le changement de régime correspond donc à l’apparition de la Manche qui déplace l’embouchure en le rapprochant de la source. En même temps la capture de l’arrière bassin par l’Oise rapproche la source de la nouvelle embouchure. La Somme cesse de creuser sa vallée et se met à la combler. Le phénomène s’est répété plusieurs fois ; il y a au pleïstocène, alternance de périodes de creusement et d’alluvionnement en rapport avec les différents changements du niveau marin.
Le dépôt formé a une épaisseur de
28 mètres à Saint-Valéry
20 mètres à Abbeville
10 mètres à Long
et seulement 3 mètres à Amiens
La tourbe ancienne surmontée de tourbes plus récentes est le plus fréquent des matériaux de ce comblement. Depuis le début du néolithique les tourbes continuent à se déposer régulièrement avec toutefois un accroissement en épaisseur maximum durant les périodes gallo-romaine et franque.
(d'après les notes de V.Commont, sur les tufs et tourbes... de la vallée de la Somme dans les annales de la Société géologiques du Nord XXXIX, 1910, pages 210-48, Bibliothèque d'Amiens 44601).
DEFINITION DE LA TOURBE:
C'est une substance spongieuse, pulvérulente après dessication, jaunâtre, brunâtre ou noirâtre, formée par la décomposition lente de végétaux dans de l'eau très pure. Les tourbes de nos régions sont des tourbes d'hypnum qui sont calcicoles. Nos tourbières sont des tourbières de vallée ou infra-aquatiques. La tourbe de la vallée de Somme est à la fois de la tourbe de mousse (hypnum) et de la tourbe d'herbe (notamment de cypéracées et de carex). C'est donc la décomposition de végétaux... La cellulose, l'hydrate decarbone qui forment les paroies des cellules végétales fournit à la tourbe carbone, hydrogène et oxygène... le protoplasmedes graines, spores et graines de pollen lui apporte l'azote, des traces de fer et de souffre sont trouvées dans les cendres et la combustion des la tourbe laisse beaucoup de cendres. Ce qui pour la petite histoire permettait de rallumer le feu facilement le lendemain matin en remuant un peu les cnedres encore rouges... Quelques coups de soufflet et quelques brindilles de bois redonnaient vie au feu ! Les plus "vieux" vous diront qu'ils cuisaient les pommes de terre dans la braise ...
QUELLES SONT LES MEILLEURES CONDITIONS POUR LA FORMATION DE LA TOURBE ?
La formation de la tourbe dépend d’une combinaison particulière des conditions topographiques et du climat. Les principaux facteurs nécessaires sont :
ce travail occupait de nombreuses familles de la vallée
Dès son apparition le fond tourbeux paralyse l'écoulement des eaux et détermine la formation de marais.
MECANISME DE FORMATION:
Dans une tourbe au dernier stade de transformation, la plus compacte, la masse est formée de fragments de tissus végétaux, cuticules, parois de vaisseaux, spores, pollen, à l'état d'extrême division due au travail de bactéries, de microcoques, de champignons saprophrytes.. dans les tourbes moins élaborées, on trouve un ciment des éléments végétaux fait de dérivés ulmiques et humiques, nettement acides, qui procurent à la tourbe ses propriétés antiseptiques et souvent colorent en brun l'eau de la tourbière (d'après B.Renault, Académie des sciences le 21 novembre 1898).
ANALYSE DE LA TOURBE:
La cellulose, l'hydrate de carbone dont sont formées les parois de cellules végétales, fournit à la tourbe carbone, hydrogène et oxygène; le protoplasma des graines, spores, des grains de pollen lui apporte l'azote, des traces de fer, de soufre que révèlent les cendres. Trois autres combustibles d'origine végétale (le lignite, la houille et l'anthracite) sont composés des mêmes quatre éléments principaux.
Les propriétés moyennes sont données, pour des échantillons secs et en négligeant les cendres, dans ce tableau d'après le professeur Klason de Stockholm (la nature du 26 mai 1917, page 322)
composition |
cellulose |
bois |
tourbe |
lignite |
houille |
anthracite |
|
|
|
|
|
|
|
carbone |
44 |
52 |
58 |
66 |
81 |
91.4 |
hydrogène |
6.1 |
6.2 |
5.7 |
4.6 |
5.2 |
3.3 |
Oxygène |
49 |
42 |
35 |
28 |
11.5 |
2.6 |
azote |
|
0.1 |
1.2 |
1 |
1.3 |
0.2 |
ANALOGIE DE FORMATION DE LA TOURBE, DU LIGNITE ET DE LA HOUILLE:
Les mécanismes de formation de la houille (en partie sur place, en partie par transport des matériaux végétaux) qui eut lieu principalement pendant l'ère primaire, de celle du lignite ( sur place) pendant l'ère tertiaire et de celle de la tourbe (sur place) commencée pendant l'ère quaternaire, vers la fin de la période "pléistocène" et qui se continue, sont identiques; les différences des flores constituantes, des climats et surtout des pressions ultérieurement subies suffisent à expliquer les différences physiques et chimiques entre ces roches. Les modifications de la tourbe, sous les actions de la pression et du temps, favorise son enrichissement en carbone et en azote et son appauvrissement en hydrogène et oxygène. Sa minéralisation a été montrée par les analyses faites par J.VIRCHNIAK d'échantillons séchés à 100% pris dans une même tourbière russe à diverses profondeurs (la nature du 5 février 1916, page 89):
profondeurs |
carbone |
hydrogène |
oxygène |
azote |
cendres |
|
|
|
|
|
|
0 m 30 |
53.4 |
5.95 |
34.75 |
1.3 |
4.5 |
1 m 50 |
55.6 |
5.6 |
32.7 |
1.4 |
4.7 |
2 m 50 |
59.1 |
5.5 |
28.5 |
1.7 |
5.2 |
COUPE D'UNE TOURBIERE DE LA SOMME (supposée complète)
Suivant la nature du terrain, et le degré de décomposition de la tourbe, celle-ci forme différentes variétés qui donnent un combustible plus ou moins bon.
Une tourbière complète comprendrait les couches suivantes:
1er: au fond, une mince couche d'argile grisâtre que les tourbiers picards nomment le "glui"
2ème: le "glui" est recouvert d'une tourbe grise très riche en calcaire et qui brûle très mal.
3ème: au-dessus se trouve une tourbe feuilletée, noire et compacte, où l'on ne distingue plus les éléments végétaux; c'est bien évidemment la meilleure comme combustible.
4ème: cette dernière couche est recouverte par une tourbe mousseuse, brune ou jaunâtre, où sont apparents les débris de racines et de tiges qui forment parfois le dessus de l'exploitation.
5ème: il existe dans certaines tourbières une tourbe bocageuse, sorte de feutre des parties végétaux.
6ème: enfin, ce que nous apercevons du terrain tourbeux est formé par une couche inconsistante faite de fragments végétaux dont commence la décomposition et que l'on nomme le bouzin.
Remarque:
Cette stratification dont la hauteur serait d'environ 8 mètres serait toujours interrompue par des lits plus ou moins nombreux, plus ou moins espacés de sables, de glaises ou de tourbes blanchâtres (tourbes à cendres) produits par l'arrivée, en crues, d'eaux chargées soit de limons argilo-sableux soit de parcelles de craie, résultant de l'érosion des berges et des plateaux riverains.
La plupart des tourbières de Picardie ne renferment pas toutes ces variétés de tourbe, mais seulement deux ou trois. La valeur du combustible dépend de l'épaisseur du banc de tourbe feuilletée (de 3 à 6 m à LONG).
La création de ce canal d'asséchement qui part de Condé-Folie, traverse Longpré, LONG, Cocquerel, Fontaine-sur-Somme pour rejoindre les eaux de la Somme à Pont-Rémy a bien sûr une incidence sur l'extraction de la la tourbe et explique son creusement. Il permet de faire baisser le niveau des eaux de 0.50 m à 1 mètre au-dessous du niveau du sol, ce qui facilitait l'extraction jusqu'à 6 ou 7 mètres de profondeur.
PALEONTOLOGIE DES TOURBIERES:
Les seuls travaux précis sont ceux d'Henri DEBRAY, entre 1873 et 1878, notamment l'étude géologique et archéologique de quelques tourbières du littoral flamand et du département de la Somme (Bibliothèque d'Amiens 30393 et 30682-3)
1) Paléontologie végétale: Aucune espèce disparue n'a été trouvée. Dans la vieille tourbe noire et compacte il a été trouvé une abondance de glands et de noisettes, des troncs d'arbres qui ont pu être utilisés pour l'ébénisterie, surtout des chênes. Cette tourbe s'est donc formée sous forêt; mais le sol tourbeux est peu favorable aux arbres: les flores de la tourbe mousseuse comme celle actuelle des tourbières sont à peu près entiérement herbacées (cypéracées, joncées, équisétacées, graminées, typhacées...).
2) Paléonthologie animale: mollusques fluviatiles actuels; la plupart des mammifères dont on rencontre les os et les bois appartient encore à la faune régionale: cheval, loup, renard, sanglier, cerf... Quelques uns ont émigré: ours brun, Bos priscus ou auroch actuel, castor, une tortue (cistudo européa). Un très petit nombre d'espèces s'est éteinte. En voici deux, des bovidés: le bos primigenius ou urus ou auroch ancien que César signale encore dans les forêts de la Gaule et le bos longifrons ou petit boeuf des tourbières; et un chien spécial appelé chien des tourbières.
3) Paléonthologie humaine: très rares sont les ossements humains trouvés; Debray a trouvé à Aveluy un squelette néolithique sous 7 mètres 50 de tourbe.
Archéologie:
1) Préhistorique: matériel néolithique (robenhausien), coups de poing, racloirs, pointes de flèches en roches du pays ou d'importation, gaines en bois de cervidés, colliers d'ambre, pirogue "monoxyle" du Musée d'Abbeville retirée d'une tourbière d'Estreboeuf en 1834, pilotis de villages "palaffisiques" (Etinchem, Pavry près de Fouencamps). Les traces de palaffises devraient être soigneusement recherchées au bord de nos tourbières et étangs. Au Musée de Picardie, des vases trouvés à Liercourt sont visibles..
2) Protohistorique:
a: âge de bronze (2500 - 900 avant Jésus-Christ) haches diverses, à talons, à ailerons...épingles, épées. Au Musée de Picardie on peut voir une pacotille d'un fondeur ambulant trouvée à Amiens au Plainsault en 1843.
b: des âges du fer, période de Hallstatt (900-500 avant Jésus-Christ) et de la Tène ou gauloise (500 - 50 ) épées, poignards, fidules...
3) Historique:
a) Antiquités gallo-romaines: monnaies, armes, céramique, statuettes de bronze (groupe d'Hercule et Antée trouvé entre Cocquerel et Long en 1802 et aujourd'hui au Musée de Picardie) ou encore des emmenchements de haches celtiques en défense de sangler et en corne de cerf et une hache trouvé à Condé-Folie en 1835.
Voici l'histoire:
b: Antiquités franques, armes, bijoux, monnaies. Trésor de Glisy trouvé en 1865 au-dessus de la tourbe, formé par des pièces de Carloman et de louis III (VIIIème et IXème siècles).
QUELQUES USAGES PARTICULIERS DE LA TOURBE:
Pour la teinture: Durant la guerre 1939-1945 la tourbe a été utilisée en mélangeant l'eau noire de la tourbe à des substances alcalines.
Pour le tannage du cuir: d'après l'expérience de Ryan: Après que la tourbe ait été traitée avec de l'acide nitrique, elle donne un mélange auquel on ajoute de l'eau et que l'on chauffe par un courant de vapeur pendant plusieurs heures. Ensuite on ajoute une dissolution de chlorure puis on fait bouillir le tout. Lorsque le liquide a une couleur brun clair, on peut l'utiliser directement pour le tannage.
Pour la fabrication de papier: en mélangeant la tourbe fibreuse à d'autres matières, on fabriquait du papier et du carton. Le résultat n'était pas vraiment formidable.
Pour le tissage: Monsieur Béraud, Français vivant en Hollande, a réussi a fabiquer des fils et à tisser des étoffes avec la fibre des plantes tourbeuses. Le tissu de tourbe, ou laine végétale, possède la propiété de conserver la chaleur; on l'a surtout utilisé pour faire des couvertures pour les chevaux.
vêtements en laine et tourbe
pantoufles en laine et ouate de tourbe... nos soldats lors de la guerre 1914-1918 portaient des gilets en laine et ouate de tourbe
Pour l'emballage: La poudre de tourbe a donné d'excellents résultats comme produit d'empaquetage pour les fruits et légumes. Ceux-ci conservaient leur fraîcheur pendant plusieurs mois. On employait également la poudre de tourbe pour les choses fragiles. La poudre de tourbe avait également des vertus isolantes qui permettaient de protéger les tuyaux d'eau du gel.
Pour faire de l'alcool de tourbe: La cellulose de la tourbe transformée en sucre par de l'acide sulfurique dilué etait neutralisée, filtrée puis fermentée avec de la levure. Par distillation on pouvait obtenir 60 à 70 litres d'alcool à la tonne.
Pour un usage sanitaire: les vertus antiseptiques et absorbantes de la tourbe ont permis son utilisation en médecine. Elle peut remplacer le coton hydrophile et être mise directement pour panser les plaies. Les soldats de Napoléon 1er s'en servaient...
Pour la désinfection: elle servait dans les fosses et les égouts comme désinfectant. Elle a la propriété d'absorber les gaz et l'humidité. De plus cela devient un excellent terreau. Lescasernes, les hôpitaux et les prisons l'ont employée pendant la dernière guerre.
LES TECHNIQUES D'EXPLOITATIONS DES TOURBIERES ET LES OUTILS ASSOCIES:
EXTRACTION AU PETIT LOUCHET :
Jusqu’en 1786, l’extraction de la tourbe était pratiquée au petit louchet, encore appelée « bêche à aileron » ; cette instrument découpait des mottes de tourbe en forme de briquettes ayant le plus souvent des dimensions de 10 cm x 10 cm x 30 ou 40 cm. Cet outil ne pemettait que d'extraire la partie supérieure du banc de tourbe (entre 50 cm et 1 mètre 50) et la tourbe tirée n'était pas la meilleure puisque c'était la dernière formée. L'inspecteur des Manufactures de Picardie, Roland de la Platière, futur ministre girondin pendant la révolution française, constate l'insuffisance du procédé dans son livre publié en 1783, l'art du tourbier.
Pourtant on avait imaginé des machines, des sortes de louchets mécaniques dits "brinqueballes" ou "sonnettes"... le duc de Chaulnes en possédait une dans ses tourbières de Picquigny.
petit louchet à un et deux ailerons
qui permettait de couper les bancs de tourbe
EXTRACTION AU GRAND LOUCHET :
Avec le petit louchet, le tourbier ne pouvait donc exploiter utilement que des bancs de tourbe de 1.50 m d’épaisseur. Le reste du terrain plus profond ( c'est-à-dire la partie la plus importante parce que constituée de tourbe ancienne, plus carbonisée) était perdu.
Un ouvrier de Thézy-Glimont, Eloi MOREL( 1735 -1809) inventa en mai 1786 le grand louchet d’environ 1 mètre de longueur auquel est adapté un manche de 4 à 7 mètres. C'est un forgeron de Gentelles qui réalisa la fabrication du louchet. Le tourbier pouvait alors creuser une première fois, puis une deuxième, une troisième et une quatrième fois au même endroit pour aller extraite la tourbe jusqu'à 6 mètres de profondeur. La partie tourbée se remplissait d'eau que l'on appelle "eintaille".... Il existe d'ailleurs un circuit ed chés eintailles passant par LONG et longeant une partie de la vallée de la Somme... L'invention de ce grand louchet n'a pas fait que des heureux... La commune d'abord parce que les tourbiers extrayaient beaucoup plus de tourbe sur une même surface puis les ouvriers qui voyaient leur nombre diminuer.
grand louchet d'Eloi Morel
deux lames coupantes formant les deux longs côtés du
louchet permettaient de couper plus facilement la tourbe
Pour honorer l’inventeur du grand louchet, le Conseil Général de la Somme vota en 1841 une somme de 1000 francs destinée à contribuer à l’érection d’un monument en 1842 dédié « au sieur Eloy Morel ». On y remarque cette inscription :
A Eloi MOREL
Inventeur du grand louchet
Sa découverte
a augmenté l’aisance des populations agricoles
en faisant baisser le prix de la tourbe
et a enrichi les propriétaires
en décuplant la valeur des terrains tourbeux
1786
La Commune de Thézy-Glimont va d'ailleurs restaurer le monument prochainement
Joli dessin trouvé dans la République illustrée.
A Long vers 1880, 12 tourbiers travaillent avec le grand louchet dans le marais Saint Nicolas. Le tirage commence en avril et dure jusqu’à fin août ; en moyenne la période d’extraction est limitée à cent jours ; tout d’abord parce que durant les mois d’hiver, il serait impossible de travailler dans les marais où les chariots s’enliseraient facilement ; ensuite parce que l’air humide ne permettrait pas le séchage de la tourbe sur place. De pâques jusqu'à la pentecôte on pouvait voir des étentes de tourbe en train de sécher.
Dès l’aube, le tourbier commence son travail. Il est aidé par 3 ou 4 ouvriers. Ces 4 hommes ont chacun une tâche différente : il y a le tireur (ech tireu ), le coupeur (ech coupeu), le brouetteur (ech brouteu) et le déchargeur (ech décartcheu).
Le chantier d'un tourbier fait souvent une trentaine de mêtres et la couche supérieure du sol est enlevée au petit louchet (ech découénage) : on gratte ech treu... on dégazonne ainsi une bonne partie du terrain. Le tireur arrive ensuite jusqu’au bord de l’eau ; il place une forte planche soutenue par de longues chevilles de bois qui préserve l’arrête vive de l’affaissement et permet à l’ouvrier de travailler sans tomber dans l’étang. Cette planche marque l’épaisseur de matière à enlever ; on la reporte plus loin au fur et à mesure de l’avancement de la besogne.
Le tourbier appuie le taillant du louchet sur la paroi battue par l’eau. De ses bras musclés, par une pesée de haut en bas, bien verticale, le long de la perche il fait disparaître complètement le louchet. Une secousse en sens inverse détache le bloc que le tireur amène à lui ; puis imprimant à l’instrument un mouvement de bascule, il pose la masse ruisselante sur le sol. Il recommence et remet son louchet au même endroit et l'enfonce à nouveau pour retirer un autre pain de tourbe. Grâce à sa dextérité, il pourra aller jusqu'à 6 mètres de profondeur pour extraire la précieuse tourbe..
sur cette photo on peut reconnaître
Hypolitte TILLIER le tireur
Léandre BRUNEL le coupeur
et Alphonse CAILLY le brouetteur
Armé d’un coutelas à lame courbe et pointue, le coupoir, el copoère,, le coupeur, ech coupeux ou l'copeuse tranche en parties égales la tourbe extraite et commence à les ranger sur une brouette.
Le tourbier rencontre parfois des résistances inhabituelles ; c’est ainsi que Monsieur Hyppolyte TILLIER, tourbier à cette époque, ramenait souvent des espèces de noisettes ; il trouva même un jour une corne de dimension respectable. Ces découvertes lui ont suggèré la réflexion suivante : « chés savants y’n set point qu’y o des milliers d’années qu’à s’trouve lo ».
Aussitôt le contenu du louchet débité en mottes, l’ouvrier(ech brouetteux) les charge sur une brouette et va les porter sur l’étente. Là commence la première opération du séchage, puis la mise en tas composés de 21 tourbes (6 en bas, puis 5 dessus, puis 4,3,2 et une en remontant) ; ensuite on les dispose en catelets, sorte de pyramides et enfin les tourbes sont mises en quinconce (ailleurs appelés reuillets ou lanternes).
(dessins de Monsieur René BILHAUT)
, 5 à 6 semaines après, on manipule une dernière fois la tourbe pour la mettre en piles et en demi piles ou tières.
Une pile contient 8 à 9 mètres cubes de tourbe.
à gauche M.Hyppolite TILLIER (1858-1957)
la tourbe était extraite jusqu'à 6 mètres de profondeur
Un bon tourbier pouvait extraire 400 pilettes de 21 tourbes chacune soit
un peu plus de 20 m3 par jour.
ech brouteu conduisait la tourbe à "ch'l'étente" pour les placer en tas pour le séchage
cette tourbe était vendue dans l'Amienois
ou le Doulennais
une équipe de tourbiers
LA TOURBE AU MOULE :
L’extraction de la tourbe se faisait à LONG suivant deux procédés :
Voici le principe de l’extraction : un tireur, muni le plus souvent d’un grand louchet tirait la tourbe qu’il déposait dans un bateau long d'une dizaine de mètres et profond d'une cinquantaine de centimètres. La Commune louait 7 de ces bateaux aux tourbiers... Un deuxième ouvrier, l’écraseur, pieds nus dans le bateau, transformait la tourbe en une bouillie, aussi fine que possible, et conduisait ensuite son chargement jusqu’à un terrain de séchage. Là, un ou plusieurs ouvriers possédant chacun un moule y mettait la boue gluante de façon à en faire 4 ou 6 briquettes, selon le moule, que l’on étendait ensuite sur la terre pour le séchage.
L’extraction de la tourbe au moule était bien plus pénible que l’extraction au louchet.
Un bon ouvrier pouvait semble-t'il faire 1 000 briquettes à l'heure
Une fois séchée, la tourbe au moule, qui était de meilleure qualité que la tourbe au louchet parce que contenant moins d’humidité (parce qu’elle était malaxée dans le moule), était entassée en piles et en demi piles avec chacune un grand numéro écrit à la chaux. "Grand Marie", parce que cet homme était très grand, était célèbre pour faire ce travail.
Chaque ménage avait droit à 10 stères, c'est-à-dire à une pile un quart, constituant la « tourbe de provision » et vendue par la commune aux habitants de LONG au prix de revient de l’extraction.
Les pompiers et les indigents obtenaient une demi pile supplémentaire. Il était possible de recevoir une deuxième fois du combustible, mais seulement lorsque tous les habitants avaient obtenu leur 10 stères de « provision ».
A l’automne, s’il restait des tourbes invendues, elles étaient mises en tas de 30 stères, recouvertes de roseaux, et restaient à la dispositions d’acheteurs communaux.
Dans les archives, nous pouvons constater qu' en 1859, par exemple, 506 familles ont eu droit à cette tourbe ainsi que 40 pompiers, 43 familles indigentes et les écoles.
En 1869 le nombre de parts avait diminué, seules 472 parts ont été distribuées aux habitants, toujours au prix de revient de l’extraction.
Les tourbiers adjudicataires de lots mis en vente par la Commune avaient de plus en plus de mal à accepter cette distribution aux habitants. Ils s’en plaignirent au Conseil Municipal à plusieurs reprises. Une réclamation signée par 20 tourbiers fut même adressée au Préfet qui demanda à son tour au Conseil Municipal de donner son avis sur cette réclamation. Voici la pétition et la délibération du Conseil municipal en date du 15 février 1864 qui rejette cette pétition et désire maintenir cette distribution aux habitants :
L’an mil huit cent soixante quatre, le quinzième jour du mois de février, le Conseil Municipal de la Commune de LONG convoqué extraordinairement par lettres transmises à domicile le onze du présent mois, en vertu de l’autorisation spéciale de Monsieur le Sous-préfet à l’effet de délibérer sur une demande collective concernant le chauffage commun, et réuni en la salle de la Maison Commune, lieu ordinaire de ses séances sous la présidence de Monsieur le Maire.
Etaient présents : MM.TILLIER Florent adjoint, PECQUET Camille, PECQUET Florentin, PECQUET Raoul, DELGOVE Louis, DANTEN Amédée, MOIGNET Casimir, MOREAU Florentin, PECQUET Jean-Baptiste, DIMPRE Florentin, DOUILLET Didier, MOIGNET Désiré, DANTEN Joseph et CARON JOLY Gérasmine.
La séance étant ouverte, Monsieur le Président a donné lecture à l’Assemblée d’une réclamation collective adressée à Monsieur le Préfet de la Somme, signé par vingt tourbiers, habitants de la commune de LONG et renvoyée en communication à Monsieur le Maire de cette Commune, pour qu’il veuille bien y annexer, conformément à l’invitation de Monsieur le Préfet, l’avis du Conseil municipal. Après avoir pris connaissance de la susdite pétition et en avoir discuté paragraphe par paragraphe tout le contenu, le Conseil municipal a été d’avis à la majorité des Membres présents, d’y faire la réponse qui suit:
Il n’est pas vrai de dire que le commerce unique, exclusif de cette belle et importante commune, soit celui qui se fait dans ses marais : le commerce des tourbes. Ce n’est pas cette industrie, qui seule, donne du pain aux habitants ; et, si la commune avait à supprimer le tourbage ordinaire qu’elle est dans l’usage de faire depuis un temps immémorial, quarante à cinquante chefs de famille de classe ouvrière se trouveraient privés de travail, pendant les trois ou quatre mois que dure l’extraction de ce tourbage, ou se verraient forcés de travailler à prix réduits.
Nous disons que ce n’est pas la commerce unique, exclusif de la Commune, puisque le teillage du lin et du chanvre (Comme le disent plus loin les pétitionnaires, et qui de fait sur une échelle de plus de cent hectares) donne du travail aux ouvriers les deux tiers au moins de l’année ; il y a donc une exagération notoire dans ce premier paragraphe, et ce n’est pas le seul que le Conseil municipal aura à signaler de cette sorte. En effet, dans le troisième paragraphe, les pétitionnaires disent : que la Commune arrache chaque année à ses marais près de six cents décastères de tourbes de bonne qualité, et que c’est un chiffre de près de douze mille francs dont elle diminue annuellement sa richesse foncière, etc… Il n’est pas vraiment pas possible de croire Monsieur le Préfet, que des hommes habitués aux tourbages, des hommes de l’art, des tourbiers enfin, aient formulé consciencieusement une maxi grosse erreur. Ainsi, il est à la connaissance de tous les membres du Conseil Municipal confirmé par une déclaration du garde du tourbage communal que l’on extrait environ chaque année trente ares de terrain tourbeux de moyenne qualité qui, au chiffre le plus élevé de l’estimation (cent francs l’are) donne un total de trois mille francs. Il y a donc une énorme différence avec le chiffre accusé par les signataires de la pétition (12 000 francs) et il est permis de supposer que l’on a voulu surprendre la religion de Monsieur le Préfet.
Une inexactitude que nous signalons aussi à l’attention de Monsieur le Préfet, dans le même paragraphe, est celle où l’on dit « qu’il est donné six cents décastères aux habitants, tandis qu’il est de notoriété publique (les listes des ayant droit au chauffage commun sont là pour le prouver) que dans l’année mil huit cent soixante trois, on n’a distribué que cinq cent sept décastères cinq stères.
Il est dit au quatrième paragraphe de la pétition que la moitié de ces six cents décastères (c'est-à-dire trois cents décastères) est vendue sur place et emportée par des étrangers ; il y a là évidemment encore exagération ; car d’après l’avis des personnes les mieux informées et notamment le garde du tourbage communal, il ne se vend pas chaque année plus de quatre vingts décastères, et plus de la moitié est achetée par des habitants de la Commune.
Les motifs invoqués à l’appui, pour prouver la vente de ces tourbes sont, ou dérisoires ou erronés. Ainsi, Monsieur le Préfet comprendra que les ouvriers teilleurs de lin et de chanvre, ne peuvent pas se chauffer et surtout faire leur cuisine, avec les déchets puisque ces déchets sont, tout au plus, bons à chauffer le four.
Les ouvriers qui travaillent pour les extracteurs particuliers, ont un tiers seulement des déchets, ou ce que l’on nomme communément « miottes », encore qu'ils les ont à la condition qu’ils manipulent ces déchets pour les faire sécher. Ce n’est donc pas un don qu’on leur fait ; mais une bien petite rémunération de leur travail. Dans le sixième paragraphe, les pétitionnaires disent que, « l’administration municipale, sous prétexte d’arriver avec certitude au nombre de décastères nécessaire à la quotité du don gratuit destinée aux habitants, mais en réalité pour ajouter « un appoint extraordinaire à ses revenus annuels et ordinaires, fait forcer l’extraction de telle sorte qu’il en reste chaque année vingt cinq décastères qui sont vendus le plus souvent à … prix etc… Non seulement il y a exagération mais encore il y a méchanceté à l’endroit de l’administration municipale, c’est ce que nous allons avoir l’honneur de démontrer à Monsieur le Préfet. Il y a exagération… la Commune ne vend par année ordinaire vingt cinq décastères de tourbes comme le disent les pétitionnaires ; Témoin l’entrepreneur Louis LOURDELLE qui en 1861 a été obligé d’en acheter six à huit décastères qui lui manquaient pour fournir aux ayant droit ; la commune n’a donc pas vendu de tourbes cette année là. Il est vrai que parfois on en fait plus que le compte ; pourquoi ceci ?
Monsieur le Préfet le comprendra parfaitement ; c’est qu’il est impossible de prévoir au juste le moment où il y a assez de tourbes extraites et que, pour avoir assez, il faut avoir trop. D’ailleurs Monsieur l’Ingénieur des Mines, l’expert en la matière, l’a bien prévu, puisque dans l’article cinq du cahier des charges, il permet d’en faire jusqu’à concurrence de vingt décastères en plus. Il y a méchanceté à l’endroit de l’Administration municipale, lorsque l’on dit qu’elle fait forcer l’importance de l’extraction ; pour ajouter un appoint extraordinaire à ses revenus. L’Administration municipale a un représentant pour cette partie ; c’est le garde du tourbage communal ; c’est lui qui est juge de la question et qui demande la cessation des travaux, lorsqu’il juge qu’il y a assez de tourbes extraites pour atteindre la quantité suffisante ; D’ailleurs, Monsieur le Préfet, la Commune de LONG n’a pas besoin, comme vous pouvez le savoir, d’un misérable appoint de 200 à 250 francs pour équilibrer son budget.
Il y a encore méchanceté lorsque l’on dit que l’Administration vend à vil prix l’excédent de ces tourbes : voici la preuve du contraire : en 1862 il est resté net des tourbes vendues (c'est-à-dire tous frais d’extraction, manipulations et empilage payés) quatorze francs 92 centimes par chaque décastère ; en 1863, il est resté aussi net, 13 francs 27 centimes ; or il est aisé de démontrer qu’en faisant seulement quinze décastères de tourbes à l’are et en prenant la moyenne de ces deux années, la matière tourbeuse a produit plus de deux cent dix francs l’are, c'est-à-dire plus du double de l’estimation que les tourbiers font eux-mêmes du terrain. La cause de la dépréciation des tourbages à LONG ne vient pas comme le disent les pétitionnaires de ce que la Commune fait et laisse faire la concurrence aux acquéreurs de ses marais. Que Monsieur le Préfet daigne jeter les yeux sur les chiffres que nous avons posés plus hauts et il en sera convaincu.
Les causes principales de la dépréciation nous allons avoir l’honneur de les signaler à l’attention de Monsieur le Préfet. Il y a à LONG vingt tourbiers environs mais en réalité il n’y en a qu’un seul lorsqu’il s’agit d’acheter. L’entente cordiale est très bonne quelquefois ; mais dans ce cas, elle est très mauvaise pour les intérêts de la Commune. Cette société est tellement organisée qu’on pourrait la croire indissoluble ; voilà Monsieur le Préfet la cause principale de la dépréciation des tourbages à LONG. Il y a pourtant un moyen de combattre cette dépréciation et au premier tourbage que le Conseil municipal demandera à vendre et il aura l’honneur de l’indiquer à Monsieur le Préfet, ainsi qu’à Monsieur l’Ingénieur des Mines. D’autres causes sont venues, sans doute, s’ajouter à celle-là ; mais causes temporaires ou secondaires ; ce sont la concurrence du charbon et la trop grande quantité de tourbages vendue depuis plus de quinze ans par la commune pour les constructions de son église, presbytère, écoles, pont et autres besoins locaux etc…
Donc les pétitionnaires se sont bien gardés d’indiquer les vraies causes de la dépréciation des tourbages à LONG, et celles qu’ils invoquent ne sont qu’illusoires.
En effet le tourbage commun se faisait dans les mêmes conditions ou à peu près, il y a dix ans, quinze ans et plus. Certains habitants des plus malheureux vendaient en ces temps là la moitié de leur part pour pouvoir payer l’extraction comme on le fait encore aujourd’hui ; comment se fait-il que dès ces époques, les mêmes causes n’aient pas produit les mêmes effets.
Les pétitionnaires concluent en demandant que l’on réduise de moitié le don que l’on fait annuellement aux habitants. La majorité du Conseil Municipal réprouve de toutes ses forces cette demande de réduction, non seulement parce que ce serait une mesure impopulaire au premier chef, mais il la réprouve encore en demandant avec raison à rester dans le droit commun jusqu’à ce que l’arrêté du 27 juin 1825 soit rapporté pour tout le département.
Ils demandent encore à appliquer à cette donation un article du Code forestier qui interdit aux usagers sous peine de 10 à 100 francs d’amende de vendre ou échanger les bois qui leur sont délivrés à titre de chauffage.
La majorité du Conseil Municipal ne peut s’associer au vœu exprimé par les signataires de la pétition ; car cette mesure atteindrait la partie la plus nécessiteuse de la population qui, ne pouvant pas payer sa quôte part d’extraction et manipulation des tourbes se verrait forcée de la laisser vendre, tandis que dans l’état actuel des choses, cette partie malheureuse de la population vend sa première demi part pour avoir la deuxième tranche de laquelle elle se contente pour se chauffer.
En résumé, Monsieur le Préfet, les dires articulés par les pétitionnaires sont ou exagérés ou erronés ; et nous le répétons, la cause principale de la dépréciation des terrains tourbeux à LONG, est l’association des principaux tourbiers qui ont su faire de cette partie un monopole. Par tous ces motifs le Conseil Municipal après en avoir délibéré a été d’avis, à la majorité des membres présents, de prier Monsieur le Préfet de ne donner aucune suite à cette réclamation.
Les habitants de la Commune répondirent aux tourbiers en organisant un grand « charivari », certainement l'historique de notre "poloche" actuel, c'est-à-dire qu’ils ont fait le tour du village en tapant sur des caisses et toutes sortes d’ustensiles et en promenant des mannequins représentants les exploitants tourbiers qu’ils brûlèrent sur la place du château ou qu’ils jetèrent dans la rivière Somme. Ces braves gens avaient pris le soin de donner à leurs personnages les noms des conspirateurs qui avaient tenté de tuer Napoléon III le 18 Janvier 1858. Des pamphlets circulaient dans tout le village… les uns plus subtiles et humoristiques que les autres… chacun y allait de bon cœur.
Deux chansons ont été également composées à cette époque.
La première sur l’air de « Belle rose », en voici un extrait :
« tant que la vallée de la Somme (bis)
pourra nous donner des tourbes
os aurons des troubes, tourbiers
os aurons des troubes
La deuxième fait allusion à Aléaume de Fontaine, premier seigneur de LONG :
Depuis des siècles sans nombre
La Commune de LONG
A reçu d’Aléaume
D’quoi faire ses provisions
Os aurons des troubes, tourbiers
Os aurons des troubes (bis)
Un poète astronome
Se trouvait à leur tête
Comme Matthieu de la Drôme
C’est un triste prophète
Os aurons des troubes, tourbiers
Os aurons des troubes (bis)
Si la France est guerrière,
La Commune de LONG
Maintiendra ses barrières
Sans poudre et sans canons
Os aurons des troubes , tourbiers
Os aurons des troubes (bis)
Le plus vieux de la bande
Avait la plume en main
Il voulait nous faire prendre
Mais nous sommes plus malins
Os aurons des troubes, tourbiers
Os aurons des troubes (bis)
Et les habitants de LONG continuèrent encore à recevoir chaque année leur part de tourbe… et toujours au prix de revient de l’extraction…
Les tourbiers quant à eux continuèrent à participer aux adjudications faîtes par la Commune qui possédait la grande majorité des terrains à tourber. Pour avoir une petite idée du coût des adjudications, voici celle du 15 mars 1899 : 15 lots d’une superficie de 1 are 89 à 4 ares 99 pour un total de 52 ares 26 centiares ont été adjugés pour un montant total de 16680 francs.
Quelques terrains tourbeux appartenaient tout de même à des particuliers, ils se situaient de chaque côté de la chaussée du Catelet. Aujourd’hui c'est encore le cas pour la plupart des étangs et terrains privés. Le reste du marais est toujours communal.
VENTE DE LA TOURBE :
La vente se fait surtout aux villageois des pays voisins.
Placées dans des mannes, les tourbes sont chargées dans des chariots souvent par des femmes, payés 6 sous par chargement. Un chariot contenait 300 catelets et un tombereau 75. Pendant plusieurs semaines, on voit de lourds chariots descendre vers les marais et en revenir plein à déborder, cahotés dans les ornières des chemins. D’autres stationnent à la porte des cafés. Les Communes d'Ailly-le-Haut-Clocher et Saint-Riquier ont d'ailleurs demandé des dédommagements à la Commune pour la réparation des trous sur leurs routes dus au charroi de la tourbe.
Victorien TROGNEUX
Partie du tableau de Victor Bourgeois
intitulé "dur labeur"
Une autre oeuvre du sculpteur Auguste Carvin existe également sur le tourbier
La tourbe est également expédiée à Amiens par bateaux tirés par plusieurs hommes jusqu’aux relais espacés de 3 à 4 kilomètres. Le travail, très pénible, rapporte 20 sous par voyage.
quelques moments de repos bien mérités sous le paillasson qui mesurait 3 m sur 2 m
SALAIRE DES OUVRIERS : qui travaillaient de 6 heures du matin à 6 heures du soir bien souvent:
Afin de pouvoir payer ses ouvriers, le tourbier doit tirer environ 8400 briquettes par jour. La tourbe est vendue 5 francs le stère, c'est-à-dire 40 francs la pile.
Le salaire des employés est en fonction de l’emploi :
Le tireur qui a le travail le plus pénible touche 4 francs et 6 sous
Le découpeur touche 2.50 francs, le brouetteur 2 francs et le déchargeur 30 sous.
Les tireurs de tourbe au moule, au travail plus pénible encore, gagnaient 5 à 6 francs par jour.
Ces salaires de 1880 montrent combien était difficile la vie des tourbiers à cette époque. Leur salaire était comparable à celui des ouvriers agricoles. Il faut savoir qu’un oeuf coûtait 2 sous, une côtelette 8 sous, un litre de lait 3 sous et un kilo de porc 30 sous (soit le salaire du déchargeur), Malgré la pénibilité du travail les tourbiers étaient heureux.
extraction récente de tourbe au louchet et au moule...
LEGISLATION DES TOURBIERES :
Les tourbières de LONG ont une situation favorable à l’exploitation ; se trouvant en bordure des routes, elles facilitent ainsi le transport du combustible.
La Commune concède à l’exploitant le droit d’extraire la tourbe.
Voici un exemple d’avant-projet du cahier des charges pour l’exploitation d'une tourbière communale :
Article 1 : La Commune de LONG concède par les présentes, mais sous réserve de l’approbation de Monsieur le Préfet le droit exclusif d’extraction de la tourbe dans le marais communal situé, lieudit "le Marais Saint Nicolas"d’une contenance cadastrale de 5 ares sans que la Commune donne aucune garantie sur la qualité et la quantité de la tourbe à extraire.
Article 2 : Les redevances dues par le concessionnaire sont fixées à 8 francs par M3 de tourbe sortie pour la fabrication de briquettes.
Article 3 : la présente concession est consentie pour une durée de 6 ans
Comme on peut le constater le tourbier ne devient pas propriétaire du terrain, il ne peut qu'exploiter la parcelle.
EXTRACTION DE LA TOURBE GRISE :
La tourbe grise est un composé de qualité médiocre, c’est de la tourbe noire en formation, c'est-à-dire incomplètement carbonisée.
Elle était extraite à LONG jusque vers 1870 dans les « croupes » pendant une période de 2 à 3 semaines ; elle était mise en tas, on la laissait sécher puis on la brûlait. Les cendres recueillies servaient à la fumure des terres.
Les cultivateurs des villages voisins venaient en acheter à raison de 2 sous la manne. L'azote et la chaux en font un engrais appréciable pour les champs.
L’exploitation de la tourbe grise rapportait très peu d’argent et elle a été abandonnée très rapidement.
POUR CONCLURE AVEC L'EXTRACTION DE LA TOURBE A LA MAIN:
L'exploitation des tourbières a été pour la Commune de LONG une véritable richesse jusqu’en 1910. La superficie d'exploitation a été évalué à près de 110 hectares. Les deux derniers tourbiers ont extrait de la tourbe jusqu'en 1939.
Voici deux des nombreux articles écrits sur LONG à l'époque. Ils sont tout à fait révélateur de ce que pouvait être la place de LONG dans la Région.
Virgile BRANDICOURT déclarait lors d’une conférence le 21 mars 1904 :
« La commune de LONG, dont le château et l’église se détachent si coquettement en arrière du brillant des entailles, est une des plus fortunées de France. Les habitants ne paient pas d’impôts communaux ; la commune donne ou presque puisque l'habitant ne paie que le coût de l'extraction, tous les ans à chaque ménage une certaine quantité de tourbe, environ 10 stères, pour sa consommation. Les pompiers, les instituteurs, le curé et les indigents reçoivent la même quantité gratuitement. Le reste est vendu, et en 1902 par exemple, LONG et Longpré ont mis en vente des terrains pour l’exploitation de la tourbe, sans aliénation de fonds. Ces terrains ont été vendus 18 000 francs.
Ainsi la Commune de LONG, qui a une mairie et des écoles superbes, vient-elle de faire installer chez elle l’eau et l’électricité. »
Plus optimiste encore est la citation de Pierre DUBOIS datée de 1912 :
« La tourbe se reforme sans cesse… il y aura un jour des « rois de la tourbe », ils seront sans doute riverains de la Somme, alors que la standart Oil Compagny aura fermé son dernier puits, et que la dernière mine aura livré son dernier wagon ! »
Monsieur Julien FACQUET (1886-1973)
Voici un texte qu’avait écrit Paul FACQUET sur la vie particulière de son père mais qui pouvait être de tous ces hommes vivant dans, pour et par le marais.
A la recherche du temps d’hier :
Le temps d’hier était pour l’homme du marais celui de la quiétude de l’esprit. Pas de permis de pêche, pas de règlements administratifs plus ou moins contestés, pas de pression fiscale, pas de contraintes sociales.
Seule la nature imposait le programme du labeur quotidien qui variait en fonction du rythme des saisons. Avec le soleil, la lune, le froid, la tempête les activités étaient différentes mais avaient un but commun, celui de l’exploitation des ressources du marais.
L’homme était tourbier du 10 avril au 14 juillet. C’est lui qui a creusé à la main à l’aide du grand louchet la plupart des étangs qui font aujourd’hui la richesse de la Commune. Travail d’équipe comprenant le tireur, le coupeur, le brouetteur, le déchargeur pour la mise en tas de 21 tourbes.
Il était pêcheur professionnel du 15 juin au 15 avril, il capturait la tanche, l’anguille d’avalaison, le brochet, le petit vif. Chaque type de pêche était l’objet d’un savoir faire et d’une technique différente basée sur l’observation et l’habitude des lieux.
Il était chasseur professionnel de gibier d’eau du 14 juillet au 31 mars. Seul dans sa hutte, il était là avant le lever du jour pour assister à la passée du matin. Ce n’est qu’en novembre et décembre lors des grandes migrations qu’il y passait la nuit.
Ses appelants « courts cris » avaient le don de faire tomber dans la mare le gibier de passage dont il faisait commerce.
Hormis les activités ci-dessus il savait piéger au milieu des roseaux le renard charbonnier, le rat musqué et même la loutre qu’il capturait vivante.
Il cultivait également son jardin, élevait ses poules, ses lapins, ses canards et ses chiens de chasse. Il buvait le cidre de sa production et lorsque le temps n’était guère favorable, il confectionnait à la maison ses cartouches et de ses doigts tissait les engins de pêche dont il avait besoin.
Ce genre de vie à vocations multiples est le reflet d’une époque révolue représentant toutefois un certain art de vivre dominé essentiellement par le travail manuel. Pour l’homme du marais le temps ne comptait pas.
On croit rêver… quelle chance extraordinaire ont eu ces hommes de vivre au milieu de la nature presque en parfaite autarcie.
"Depuis le matin, toute la vallée était plongée dans le brouillard. Les feux allumés la veille un peu partout avaient longuement fumeroné, puis la pluie en avait eu raison, pour la plupart. On voyait de loin en loin s'en mêler à la brume les dernières fumées. Les tourbiers s'étaient trop pressés croyant à l'arrivée du printemps: il faudrait encore attendre pour brûler les tas de tourbe terreuse, le rebut de ce qu'on avait retiré des marais la saison précédente, le bouzin impropre à faire les briquettes et qu'on essaimait sur les terres communales. Quand le temps le permettait, on consumait ces tas qui faisaient partout à la fin mars, dans la vallée, de petits panaches jaunâtres entre les arbres et les joncs, et les paysans venaient en charger les cendres blanches pour en couvrir les prairies, et les champs où poussent les blés tardifs, car c'était du bon engrais.
Mais la pluie n'empêche point l'extraction de la tourbe, au contraire: que faire d'autre, pour ceux qui partagent leur temps entre les marais et les travaux des champs ? Pour ce qui est d'Eloi Caron, tourbier, qui se louait parfois pour les gros travaux de la commune, il n'y avait pas le choix en cette saison, bien que la plupart attendissent Pâques; pour lui, mécréant, pas besoin de commencer le travail que le Christ fût ressucité. Le premier jour de printemps, il prenait son grand louchet, et se rendait au bord de ch'treu, c'est-à-dire de la bande de terre au bord du marais, déjà creusée, là où il avait préparé sa palée, coupant les mottes de gazon au tranchant de sa bêche, avec quoi on se chauffait à la maison; il emmenait avec lui Jean-Baptiste qui a treize ans, et qui remplace sa mère, maintenant que la voilà encore enceinte, pour faire le copeux. On en voyait d'autres, comme lui, dans le brouillard, qui se rendaient à leurs étentes, dont les taches brunes avaient l'air de maladies sur le gazon des marais. Mais là où Eloi avait la sienne, près del'abri de roseaux qu'il avait construit le mois dernier, on avait la paix, c'était bien solitaire: Eloi n'aimait guère la compagnie. Il vivait d'ailleurs, avec les siens, dans cette part écartée des marais de la Somme, qui entre LONG et Longpré-les-Corps-Saints, sur le territoire de cette dernière commune, que, comme pas mal des plus pauvres par là, il s'obstinait à nommer Longpré-sans-arbre, à la façon de la ci-devant République. Sa maison était la plus lointaine, la plus engagée dans ce désert d'eau et de joncs, une chaumière basse, aveugle, n'ayant d'air que par la porte, pour s'y mieux chauffer, dans ses murs de torchis, épaulés de poutres, badigeonnés de chaux, sur un soubassement de planches passés au goudron. Il vivait là avec Catherine, qui, à trente-cinq ans, était déjà vieille, déformée, sans couleur, ayant eu treize petits en dix-neuf ans, dont six éaient morts, et l'aîné avait fui avec des romanichels. Ils avient une vache et quelques poules, trois fils et trois filles. Et le père qui fait le mendiant. Et autour d'eux, à perte de vue, les marais, la terre trempée, hérissée de joncs, l'herbe affleurant sous les miroirs d'eau, entre les arbres montants, blancs de Hollande, frênes, ormes, parmi lesquels à peine recommençait à grimper le taillis des coupes massives, toujours répétées depuis vingt ans, quand on avait commencé à aller scier en troupe sur les communaux, et les biens nationaux que leurs anciens propriétaires ne pouvaient plus garantir; et la rage qu'on avait eu d'abattre les arbres en ces temps de famine, il faudrait cent ans peut-être pour que le paysage l'oubliât. Si, dans cent ans, il n'y avait plus de révolution ou de guerre qui passât par là.
Le regard était arrêté, au-delà de Longpré, par le haut talus qui descend à pic dans la vallée, et de l'autre côté, sur la rive droite du fleuve, au-dessus de LONG et de COCQUEREL, cela grimpait plus doucement, plus humainement, mais c'était un pays déjà lontain.
Le pays d'Eloi, c'était ici cette bande de prés noyés, hérissés de peupliers, coupés de canaux, d'étangs; déjà là-basoù les bras d'eau se perdaient à cinq cents toises environ peut-être, il n'était plus chez lui, et la Somme qui passait au loin, s'écartait moins d'une demi-lieue du talus de sa rive gauche, à l'endroit le plus large de la vallée, mais c'était comme une autre région. Il n'y avait guère alors, dans ce lacis de ruisseaux et de terres traîtresses, que des cabanes pour la chasse, c'était un désert la chaumière des Caron exceptée. Avec la barque plate, se dirigeant à la perche, il fallait bien connaître ces rues d'eau pour s'y retrouver entre les hautes jonchaies, et gagner d'étang en étang, par les clairs, sans prendre le fleuve, là-bas, en aval, vers Bray, les rivières par quoi l'on pouvait se laisser glisser, portant les briquettes de tourbe, jusqu'au faubourg de Rouvroy, à l'entrée d'Abbeville, où les commerçants disputaient âprement le prix du combustible, mais en donnaient pourtant plus que les revendeurs de Pont-Rémy ou de la Chaussée-Tirancourt. Le pays d'Eloy, c'était une longue misère bourbeuse qui s'étend ainsi d'Amiens à Abbeville, et où l'on se débat contre les propriétaires, les commerçants, les gardes messiers des communes, l'ambition de ceux qui trichent et veulent à leur tour posséder lesbouts de marais, y mettant sans droit des clôtures, les calamités des saisons, les réquisitions des villes, le passage des militaires...
Le pays d'Eloi, c'était cette brume et ces fumées basses, où l'on va à flèpes, c'est-à-dire en guenilles, avec pour seule douceur le lait de la vache, maigre et soufflante, qui paît les pacages inondés, les herbes trempées et les fleurs palustres. A peine A peine y-a-t-on pu se faire un bout de jardin, où les fèves vertes poussent moins bien que ces petits choux tout serrés qu'on rencontre tout le long de la Somme. Mais c'est le pays d'Eloi, comme la tourbe est son gagne-pain, comme Catherine est sa femme; et il n'a jamais songé à les quitter, il ne discute pas. C'est son pays et c'est sa vie. C'est ici qu'il a grandi, qu'il a vu passer les saisons, usé sa force, eu froid et faim; c'est ici qu'il s'est terré avec la Catherine, qu'il l'a entendu crier, accouchant, année après année. Le poil lui a commencé à devenir blanc avant la quarantaine.Et il a été bien heureux encore, d'avoir évité la conscription, quand ses frères ont été tués l'un pour la république, un second pour l'Empire, et on n'a plus jamais revu le déserteur, celui qu'il préférait, pour lequel, il a appelé comme lui ce fils que voici Jean-Baptiste. Ce n'est point qu'il ait oublié son enfance, qu'il revoit dans ses gamins, mais tout cela est si loin, loin comme Abbeville... sauf qu'il n'y a pas de barque plate pour y retourner. Il ne faut pas perdre de temps, toute la vie a servi à apprendre cela, à faire chaque chose à sa date: le voilà avec son fils, depuis des heures déjà, les pieds sur sa ligne, comme on appelle ici une planche fixée avec des chevilles en bois au bord de la tourbière, au bord de ch'treu, qui manie son louchet sous cinq à six mètres d'eau: le louchet est une caisse sans couvercle, faite de lamelles de fer d'une hauteur de deux pieds environ, au bout d'un manche de trois toises et demie, que le tireur enfonce dans l'eau, sous le sol, de manière qu'elle s'emplisse de terre à tourbe. Tu timagines si ça se fait lourd. Eloi appuie tant qu'il peut, puis se balance pour cécoller. C'est ici que la force est nécessaire, mais aussi le tour de reins, et quand l'opération se répète pendant des heures, que le bloc une fois de plus arraché, monté à bout de bras et balancé sur la rive, ruisselant d'eau, même un hercule, s'il n'avait pas la longue habitude, comme le faucheur de faucher, n'y tiendrait pas une heure de plus.
Alors Jean-Baptiste fait son métier de copeux: la motte se partage en trois avec le "copoère" qui est un couteau recourbé, et pendant que son père, à peine ayant respiré de l'effort, replonge le grand louchet, l'enfant porte précitamment les trois "tourbes" à l'écart avec la brouette qu'il a tirée de l'abri des roseaux, sur l'étente où elle vont sécher, formant avec les tourbes déjà triées, des "reuillets" de vingt et une tourbes, qu'on groupe en lanternes que l'air y circule , puis en pyramide tronquées où il entre deux stères de combustibles. Le soleil et le vent feront le reste.
Mais Eloy, sans arrêt, accumule les caissons de tourbe arrachée à l'eau, avec une sorte de cri, quand le louchet les détache, et que s'arc-boutant sur ses pieds, rejetant le corps en arrière, Eloy relève la lourde perche et balance son faix d'un demi-cercle sur le côté de la "ligne".
Jean-Baptiste pour le suivre, doit se hâter et sue, car il sait bien que s'il traîne, son père le battra sur la tête et les épaules avec le manche du louchet, et cela fait un mal de chien. Il passe sous l'instrument qui reprend la route de l'eau, courbant l'échine en poussant la brouette , et regarde par-derrière lui où en est son père.
On a mangé avant de partir, du pain gris, avec de la boulie, qui est un breuvage au son. On ne s'arrête point le midi, quand on est son propre maître on ne fait point none; ce n'est qu'à la tombée du jour qu'on aura droit, pour souper, à un peu de lard salé avec des choux ou des fèves. Eloy y est habitué, mais le gamin qui grandit terriblement ces temps derniers se sent l'estomac creux0 Il n'a pas le temps, à cette heure, d'y trop penser, surtout qu'il a oublié d'apporter sous la cabane de joncs le récipe ient où le père avait préparé un lait de chaux, dont on marque les reuillets avec une initiale ou une croix. Il sera toujours assez tôt pour se faire engueuler et rosser.
La pluie tombe serrée maintenant, trempant les tourbiers, faisant sous leurs pieds la planche et le sol glissants. Des sansonnets tournent autour d'eaux, et, quand Jean-Baptiste s'éloigne, s'abattent en bande sur les tourbes encore humides, pour y chercher les vers de vase, mais le gamin qui déjà s'en revient, les effraye de la voix, poussant sa brouette, et soulevant les épaules pour en basculer la charge.
Suit dans les pages suivantes une description fort intéressante des paturages et de tous les problèmes s'y rapportant...
La question s'est posée bien évidemment. Quand les surfaces de marais pouvant être exploitées auront disparu, qu'adviendra-t-il des ressources des communes ? Ne devraient-elles pas amortir et créer une réserve pour les années futures ? Les communes pourraient acheter des rentes sur l'Etat avec une taxe que la mairie établirait sur chaque mètre cube vendu ou extrait... Une estimation a été faite pour LONG et le capital au bout de 100 ans représenterait le chiffre de 1 364 000 francs, énorme à cette époque. Cette somme ne représenterait que 106 000 francs si les intérêts étaient utilisés. L'Ingénieur des Mines préconise une loi pour ce dossier épineux.
L'EXTRACTION DE LA TOURBE MECANIQUEMENT (1942 - 1962)
Puis ce fut grâce à l'ingéniosité d'un enfant du pays
que l'extraction mécanique de la tourbe a pu voir le jour...
Avec la guerre 1939-1945 et la pénurie de charbon qui s'en suit, l'extraction de la tourbe est à nouveau d'actualité. En 1942-1943, un enfant du village, muni d'un C.A.P de mécanicien gazogène, Noé DELASSUS, invente une machine à extraire la tourbe mécaniquement. Le génie de cet homme va donner du travail a beaucoup d'habitants du village. Il ne deviendrajamais riche... comme le dit son fils Guy, il vendait la tourbe moitié prix du charbon sous prétexte que la tourbe est moitié moins calorfiique que le charbon. Un raisonnement mathématique et simpliste puisqu'en plus il ne tenait pas compte du fait que l'extraction du charbon était subventionnée par l'Etat .
Il existait déjà un louchet mécanique mais le poids de l'engin, 12 tonnes, ne rendait pas les manoeuvres faciles et cela demandait un gros travail de préparation avant de commencer l'extraction..
Ces deux superbes dessins de Monsieur René BILHAUT nous montre bien
l'ingéniosité de Noé DELASSUS
Noé Delassus a donc construit sa propre machine d'un poids de 2 tonnes et demie, donc beaucoup plus facile à mettre en place et à bouger sur des rails. Il s'est d'abord servi pour extraire la tourbe mécaniquement d'un moteur d'une ancienne citroën B2 alimenté par un gazogène qui brûlait de la tourbe et qui permettait d'actionner un louchet de sa fabrication. Ce louchet mesurait 40 cm de large et était long de 8 m. Ce louchet s'enfonçait dans le sol profondément et remontait un grand pain de tourbe d'une longueur d'environ 6 mètres sur une base de 40cm x30 cm qui tombait dans une gouttière. La base du louchet était munie de clapets qui empéchaient la tourbe de retomber au fond. A l'intérieur de cette gouttière de 60 cm de section, il y avait un système ingénieux fait de deux espèces de vis sans fin (ou d'Archimède) qui malaxait et remontait la tourbe dans une trémie située en hauteur d'une contenance de 3 à 4 m3. Une grande partie de l'eau était déjà évacuée. Nous rappellerons que la tourbe extraite contient 90% d'eau.
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Un tracteur à chenilles reculait sous cette trémie pour récupérer environ 2m3 et demi de tourbe dans sa benne. Cet engin partait ensuite à l'étente pour déverser sur le sol de longs boudins de tourbe de plusieurs dizaines de mètres de long. Ces boudins sortaient de la benne du camion à l'aide d'un système tout aussi ingénieux de vis sans fin ( longitudinale et transversale ) qui poussait la tourbe sur le sol par cinq orifices de 8 cm de côté.
Monsieur Noé DELASSUS a amélioré son installation au fur et à mesure du temps... il a remplacé le moteur par un autre moteur G.L.M à fuel de 20 chevaux récupéré pendant la guerre. Le savoir de cet homme était tout à fait extraordinaire et des ingénieurs de tous les pays ont pris contact avec lui. En Russie on a même construit des machines gigantesques sur le même principe.
Ces deux autres dessins de Monsieur René BILHAUT nous montrent le système
de vis sans fin longitudinale et transversale qui permettait de faire sortir la
tourbe en 4 longs boudins
Lorsque le camion déchargeait sa cargaison en longs boudins sur le sol, commençait le travail d'un autre ouvrier. Muni d'un grand rateau dont le manche mesure 4 mètres de long avec 8 dents écartées de vingt cinq centimùètres, ce tourbier des temps moderne, coupait 25 rangées de tourbe à la fois pour en faire des briquettes. La briquette humide pèse un peu plus de 2 kgs. La machine en extrait environ 50 000 par jour.
Alors commençait le travail harassant des femmes. L'homme avait amélioré nettement son travail qui avait perdu beaucoup de sa pénibilité mais la femme allait prendre sa place.
Ces femmes retournaient ces briquettes pour les faire sécher sur les quatre côtés... elles pouvaient en retourner 40 000 par jour, pliées en deux comme les femmes qui plantaient le riz par en Asie.. les meilleures en retournaient 60 000... c'était un travail des plus pénibles mais magnifique... on pouvait voir bouger les champs de tourbes. Un très beau film tourné en noir et blanc par FR3 nous montre vraiment bien le travail effectué. Et là aussi, il faut honorer le travail de ces femmes.
Il fallait retourner 4 fois ces briquettes. Ce premier séchage durait entre 10 et 15 jours. Une briquette est considérée sèche lorsqu'elle ne contient plus que 20 à 25 % d'humidité. Cette briquette ne pèse plus alors que 300 grammes.
Ensuite il y avait un deuxième séchage qui durait 10 à 15 jours également. La tourbe était alors mise en tas de 1000 briquettes. Là aussi un bon ouvrier pouvait en faire 40 tas par jour.
D'autres Communes ont également essayé d'extraire de la tourbe pendant la guerre. La plupart des expériences a été désastreuse. A Cambron, par exemple, en 1942 la municipalité d'Abbeville a employé 130 ouvriers qui n'ont extrait que 1800 tonnes de tourbe. Dans le même temps, Monsieur Noé DELASSUS avec ses 10 ouvriers fournissait 1000 tonnes. A L'Etoile également les Usines "Saints" dépensèrent plus de 3 millions pour mettre les tourbières en état mais elles ne poursuivirent pas leur effort, les rendements étant insuffisants.
Les ouvriers de Monsieur Noé DELASSUSAprès la guerre, l'extraction continuera encore. En 1947, l'équipe de Noé DELASSUS sortira 2 000 tonnes de tourbe sèche. puis la quantité diminuera chaque année. La quantité de tourbe extraite était fonction du temps...
1945 |
800 tonnes |
1946 |
1000 tonnes |
1947 |
2000 tonnes |
1950 |
1000 tonnes |
1951 |
1000 tonnes |
1952 |
2000 tonnes |
1953 |
1500 tonnes |
Voici les chiffres de la production annuelle (1950 et 1951 on été des années pluvieuses)
La grande partie de la tourbe était vendue dans un rayon de 30 kilomètres partant de LONG. Les clients venaient la chercher ou Monsieur DELASSUS la livrait.
Le prix de vente de la tourbe était par exemple de:
2200 francs en 1951
2500 francs en 1952 et 1953 (3000 francs pour de la tourbe livrée à domicile)
Le prix d'une tonne de charbon à la même époque était de 10 000 francs. Toujours dans le raisonnement de Monsieur DELASSUS, comme le pouvoir calorifique de tourbe est égal à la moitié de celui du charbon, l'emploi de la tourbe permettait une économie de 50 % par rapport au charbon. Les habitants quant à eux brûlaient les deux combustibles... la tourbe produisait plus de cendre que le charbon mais nécessitait un rechargement moins fréquent... On se servait de la tourbe pour garder le feu du soir jusqu'au matin... Tante'Cile disait toujours qu'elle aimait l'odeur de la tourbe le matin au réveil.
Monsieur DELASSUS continuera à extraire la tourbe jusqu'en 1962 à LONG. Monsieur Guy DELASSUS explique que l'extraction de la tourbe posait problème à LONG , à cause du hobbie de la chasse qui devait de plus en plus présent ...Pour l'histoire, la Commune a pris une délibération interdisant l'extraction de la tourbe au cas où il y aurait pénurie de charbon ou de fuel par exemple... mais il serait très difficile d'extraire à nouveau la tourbe à LONG parce qu'il faut des grandes surfaces d'épandage que nous n'avons plus. Monsieur Pascal dans son étude a calculé que la Commune de LONG avait encore près de 2 000 000 de mètres3 de tourbe dans son sous-sol.
Noé DELASSUS quant à lui continuera d'extraira de la tourbe horticole à la Ferté-Allais en Seine-et-Marne jusqu'à l'âge de 76 ans. Son fils a continué jusqu'à la fin des années 198O. Après son décès nous avons voulu récupérer le matériel pour mémoire mais il avait été mis à la ferraille...
Noé et Daniel Delassus avec des ouvriers devant la machine...
Pour conclure, si vous venez vous promener à LONG, vous pourrez découvrir tous ces étangs qui ont été façonnés par ces tourbiers mais sachez que la grande majorité des étangs ont été creusés manuellement avec le louchet d'Eloi Morel... voyez le nombre de coups de louchet de 10 cm de côté qu' il a fallu donner pour que l'eau surgisse dans notre belle vallée...Vous n'aurez peut-être plus le même regard sur nos marais...
La Commune n'a pas oublié ce qu'elle doit au travail du tourbier... cet homme, humble, simple, travailleur sera binetôt honoré... grâce au travail de Monsieur Le Boudec, du Conseil municipal et du Conseil général de la Somme, Monsieur le Maire inauguera dans quelques mois la place de "ch'tourbier" qui sera située en face de la Mairie et près de la maison éclusière. Un juste retour des choses...
Vous pourrez découvrir un petit musée de la tourbe à la centrale hydroélectrique ouvert du 2 mai au 30 septembre du mardi au dimanche de 14 heures à 18 heures.
La commune organise également des démonstrations d'extraction de tourbe au louchet ou au moule sur demande pour les groupes ...
Tous mes remerciements à la famille Pascal,à Messieurs Guy DELASSUS, Daniel DELASSUS, René BILHAUT pour leur témoignage et une pensée émue pour Messieurs DANTEN Paul, DANTEN Raoul, NEVEU, à Tante' Cile, Charlotte MOREAU CAILLY, Mme Marcelle BERNARD, Mme JOLY et M.Paul FACQUET et sa maman Mme FACQUET Léonie (une femme extraordinaire) etc... qui nous ont quittés et qui m'ont raconté avec tellement de gentillesse leurs souvenirs.
Autres sources:
La tourbe en Picardie (conférences scientifiques municipales en 1926 de Pierre DUBOIS)
Traité sommaire concernant la tourbe de Lencauchez (1876)
La tourbe et les tourbières d'Albert Larbalétrier (1901)
La tourbe et son utilisation de Pierre de Montgolfier (1918)
Exploitation industrielle de la tourbe (1918)
thèse de M.Pascal (années 1950)
Articles de Monsieur Pierre DUBOIS
Archives communales de LONG
Archives départementales et communales
Dessins de Monsieur René BILHAUT expliquant le fonctionnement de la machine de M.Noé DELASSUS
Musée de Picardie
avec l'autorisation du Musée de Picardie